lundi 12 avril 2010

Show them why you were born.





















He couldn't quite explain it
They'd always just gone there.
Crash Test Dummies - Mmm Mmm Mmm Mmm




Durant ma longue et cocasse existence, je crois avoir intégré 2 équations essentielles à une meilleure avancée sur le chemin grumeleux de la vie :

1) Alcool + imagination = ∑ regrets ∗ ∑ non-dits
2) Enfant unique = chacal

Dans la mesure où je bois moins que je n'existe, c'est la seconde qui me sert le plus souvent. Parfois, l'espoir renaît un peu, puis à la fatidique question "tu as des frères et sœurs?" entraînant mon honnête réponse, mes illusions retombent pire qu'un soufflé au fromage dans Un dîner presque parfait*. Quand ma dernière syllabe est prononcée, je baisse les yeux, signe de défaite anticipée. Et aussi car je sais ce qui m'attend plus haut : regard condescendant (non mais qu'est-ce que tu as dû t'emmerder), traits figés en une moue de dégoût (les enfants uniques sont tous des petits cons égoïstes et capricieux), scepticisme (mais comment est-ce possible de ne faire qu'un enfant?).

Et oui, pour la majorité des gens, j'ai bien l'impression que les enfants uniques sont des chacals. Ce qui est un peu vexant, vu que le chacal fait partie du groupe des animaux rédhibitoires, dont les autres membres sont bien sûr la hyène et le fennec. Étant donné que je n'aime pas trop être comparée à un animal rêche et possédé par le diable, j'ai tenté d'examiner ce préjugé de plus près. J'en ai conclu ceci : pour le quidam standard dans la norme, le chacal attire les maladies (comme les pigeons, souvenez-vous de ce qu'on nous disait quand on était gosses). L'enfant unique, par comparaison, attire tous les défauts les plus pesants aux yeux de la société. A chacun de ces bons gros défauts, je peux cependant exposer un contre-exemple, devant bien défendre ce fabuleux honneur de n'être qu'une. C'est parti :

- l'égoïsme : il y a encore 2 ans, ma mère partait au boulot avec un tupperware contenant un plat à réchauffer, fait par mes soins, expressément pour elle. Avec la sauce dans un petit pot à part. A PART. Toujours dans le domaine culinaire, j'ai maintes fois regretté de ne pas faire partie d'une grande fratrie, tellement cuisiner pour 12 dans d'énormes casseroles me plaît. De plus, les gens les plus égoïstes qu'il m'ait été donné de rencontrer sont en général les petits derniers d'une plus ou moins grande fratrie, habitués à avoir tout ce qu'ils veulent, franchement très libres grâce à leurs aînés ayant défoncé les portes de l'autorité avant eux. Je crois aussi que c'est beaucoup plus facile de partager alors qu'on ne vous a jamais forcé à le faire avant.

- l'individualisme : alors là, oui mais non. Non parce que de temps en temps c'est bon de se ruer dans les bras de quelqu'un, de passer quelques jours 24h/24 ensemble à en avoir envie de se mettre des baffes à la fin, de prendre soin des gens en les écrasant sous des kilos de pâtisseries. Par contre, oui, j'aime bien être seule. En même temps, j'ai envie de te dire que jouer à un à "Qui est-ce?" et à "Max le Serveur", ça te forge un caractère. Ça t'apprend que les autres c'est gentil, mais parfois c'est superfétatoire. D'ailleurs, le mot "superfétatoire", tu as pu l'apprendre grâce à l'une de tes nombreuses et longues après-midi de chacal unique, perdu sur ton lit avec un "Enrichissez votre vocabulaire".

- le pourri-gâtage : là, ça dépend des parents. Je crois surtout que c'est plus facile de nous demander notre avis vu que les conseils de famille sont rapidement organisables. C'est donc plus simple d'avoir une relation théoriquement "proche" et "harmonieuse" avec ses parents. J'impose des guillemets, et si j'avais pu j'en aurais mis 12 parce que quand tu as envie de mettre le bouzingue à la maison, enfant unique ou pas, bah, tu le mets. Pour ce qui est du gâtage matériel, c'est plus une question de salaire des parents et de condition sociale, de volonté d'impressionner le voisinage.
Quand on reçoit une caravane Barbie, ce serait con d'en recevoir 2 (ce qui aurait pu devenir un proverbe altermondialiste). Tout ça pour dire que oui, nos parents ont logiquement plus les moyens de nous pourrir (sauf s'ils dépensent tout au casino/avec les prostituées/en Mc Do), mais qu'ils ne le feront pas forcément.

- l'anormalité : bon, ici par contre je n'ai pas trop d'arguments. Mais pareil, c'est surtout les jeux de société joués seuls qui rendent un peu dingue. Ça n'a l'air de rien comme ça hein, mais faire un Trivial Pursuit seul en changeant de voix pour chaque couleur, au bout d'un moment, ça endommage la psychomotricité. Et le reste. La solitude, ça laisse aussi beaucoup plus de temps pour se poser des questions et se forger une image du monde légèrement décalée par rapport à la réalité... Durant mon enfance et surtout pendant les grandes vacances, j'avais souvent l'impression d'être prisonnière d'une bulle, de plonger dans une grosse flaque de léthargie et de perdre le contact avec l'extérieur. Chaque pas vers l'autre devenait une épreuve. Mais bon, ça a un peu changé. Mais pas tant.

On a aussi moins de pression du point de vue de la compétition, mais du coup aussi moins de repères. C'est plus difficile de se construire sans modèle accessible... Je pense qu'en tant qu'enfant unique on est tout de suite vu comme un adulte en devenir, comme celui/celle qui va devoir s'intégrer aux deux autres, qui n'ont décidément plus envie de jouer aux enfants. C'est plus vite sérieux, il y a moins de place pour les balbutiements et les approximations. Bref, si l'on considère la variable éducation, c'est parfois un peu la foire, et la normalité devient une notion toute relative. Donc pour ça, merci de continuer à dire "ah mais c'est pas grave, elle est fille unique".

Ce qui m'amène à conclure que si j'avais pu choisir, j'aurais eu PLEIN de frères et sœurs. Ça m'a manqué de ne pas pouvoir rire/me battre/jouer/discuter/me faire emmerder jusqu'aux larmes par quelqu'un. Du même sang du moins.


* Edition ados de la semaine dernière FA-BU-LEU-SE.

samedi 10 avril 2010

No more eatin' for them now.





















I went to a gig but nobody danced, everybody was far too cool,
All the kids just stood there, is it the same at their public school?
Hadouken! - That Boy That Girl




Le riz au lait.


Ce doit être le dessert qui m'embrume le plus le regard en l'espace de quelques secondes à peine. Mon estomac se resserre, mon système oculaire interne et purement personnel s'escrime à vouloir jeter un énième vain regard par-dessus les épaules de toutes les histoires peuplant ma mémoire. Je lui ai déjà dit que s'évertuer à vouloir tout contrôler simultanément, ça ne valait rien : il faut y aller pas à pas.

Le premier pas, c'est celui du riz au lait, les autres ce sera pour une prochaine fois. Le plat le plus régressif, selon un sondage qu'aurait pu mener l'Ifop* pour La Laitière de Nestlé. Régressif sur le plan gustatif, mais pas que : point de vue préparation, le score n'est pas mal non plus. Des heures à surveiller, à mélanger délicatement, à guetter l'ébullition... De l'assistanat culinaire dans toute sa splendeur.

Pour une cuillerée engloutie, une réminiscence full option en cadeau : les gens présents à ce moment-là, l'odeur de la cuisine, les meubles kitschs mais drôles, tout ça dans une bulle pâteuse à la vanille. Je n'ai rien inventé. Mais Proust non plus. Chacun son dessert...

Ça, j'ai envie de dire que c'est le chemin "normal". Si le nez est le disque dur externe du visage, alors le goût est la barrette de ram supplémentaire, celle qui va booster tous ces souvenirs, bons au mauvais, actes quotidiens ou extraordinaires. C'est grâce/à cause du goût qu'à la première incisive plantée dans un biscuit qui avait l'air quelconque, on revit l'expérience qui y était liée. C'est souvent une bonne baffe dans la gueule, positive ou négative, comme si chaque molécule odoriférante venait s'infiltrer par le moindre pore de la peau, parasitant l'ensemble du corps pour le contrôler, nerf par nerf, en le détournant de l'activité initialement prévue. Tout ça pour soulever l'individu non pas vers son avenir, mais pour l'enfoncer et lui faire boire une tasse de son passé.

Pour moi, le riz au lait, c'est aussi des souvenirs, mais peut-être pas les mêmes.
Aujourd'hui quand j'en cuisine, je dois me préparer psychologiquement parce que je sais qu'en faisant inlassablement tourner la cuillère en bois dans le fond de la casserole**, c'est un peu comme si je me concoctais une potion spécial flash-back. Parce qu'à chaque fois que je prépare ce plat, je sais que même sans avoir la plus petite faim, j'en goûterai une cuillère. Et là mes paupières s'alourdiront, les coins de ma bouche s'affaisseront et les images danseront très vite.

Ce matin-là, je m'étais dit, allez, ça fait longtemps, vas-y...
J'ai donc pris mon courage à 2 mains pour monter dans 3 trams et 2 métros différents, afin d'avoir le plaisir d'aboutir dans l'un des quartiers les plus ravagés de Bruxelles. Après cette charmante balade, comme toujours, tu m'attendais à la fenêtre. En souriant, en agitant la main, et probablement en disant à ma grand-mère que j'avais très mauvaise mine, que j'avais encore maigri et que mes vêtements ne ressemblaient à rien. Et on ne parle même pas de ta couleur de cheveux!
Je suis montée, on a gentiment discuté. Pour une fois ça se passait bien. Logique : les autres n'étaient pas là. Tu nous avais préparé des pilons de poulet et une salade de carottes... je m'en veux tellement je suis conne de retenir ce genre de détails. La viande n'était pas cuite, mais je me suis dit que tu ne devais plus très bien y voir. Ce devait être pour ça, oui... Même si quelques années auparavant, un serveur ayant l'outrecuidance de t'apporter une viande pas assez ou trop saisie aurait été bon pour un passage de savon bien dans les règles. Préférant contourner l'obstacle et sentant l'angoisse fleurir au niveau de mes genoux, j'ai avalé sagement le plat, tout en essayant de ne pas penser à ce qu'on dit sur les mérites bactériologiques du poulet cru et en me forçant à penser rationnellement qu'après tout, un animal mort reste mort, qu'il soit cru ou cuit. Ça a relativement bien fonctionné, à peine quelques haut-le-cœur...

Et c'est là que PAN, tu es revenu avec du riz au lait. D'énormes ramequins de terre cuite et vernie, remplis à ras-bord de riz au lait, oui, mais de riz au lait au chocolat...
Alors il faut savoir que le chocolat et moi, on a une relation assez spéciale. Un peu comme une fille qui a un carnet avec les numéros de ses amants, dont une ligne a été fermement bien que multiplement barrée. Elle se dit ce soir-là qu'elle va laisser une dernière chance à ce nom barré, qui va peut-être, pour une fois, la surprendre au lieu de l'inonder de sa tendresse dégoulinante et déplacée, qui même si elle est rassurante, est un peu lassante. Même si la fille sait qu'elle va encore barrer ce nom le lendemain, elle sait aussi qu'elle avait besoin de lui à cet instant et que lui ne demandait que ça, tout en sachant comment ça allait finir. Donc pour ceux qui pensent que la métaphore filée c'est complètement 2009, je traduis : le chocolat ok, mais on s'en lasse vite tellement c'est trop indécemment bon et sucré, et surtout tellement indigeste au bout d'un moment... C'est justement ce trop qui manquera une fois le cacao digéré. Alors quelques temps après, on en reprendra un carré pour vérifier que c'est toujours aussi indécent, juste pour se rassurer encore une fois.

Donc, il me sert du riz au lait au chocolat. Il était de notoriété plus familiale que publique qu'il aimait la cuisine certes, mais surtout traditionnelle et bien préparée. La tradition ici avait bien morflé. Ce sont mes canines qui ont essuyé la première salve d'attaques : le riz trop cuit collait et s'étalait entre les dents. J'ai voulu fermer les yeux mais je me suis dit que ça pouvait être mal interprété : le dégoût et la jouissance ne sont facialement pas si éloignés, et si tu m'avais proposé d'en reprendre je n'aurais pas pu dire non. De l'eau chocolatée surnageait dans cet über-ramequin (contenance : environ 1/2l) et parvenait à dissoudre la crème du riz, la rendant grumeleuse et peu appétissante à la vue.
Je ne sais pas comment j'ai fait, mais j'ai réussi à sourire tout en avalant ça. Tout en avalant TOUT ça, parce que même à 20 ans, je savais que tu allais me faire la morale si je ne finissais pas mon assiette.

Après je suis partie, des perles de plomb au coin des yeux, une brique de 3kg sur l'estomac et une de 10 sur le cœur. Parce que ce jour-là, j'ai compris que c'était fini. Que tu étais fatigué. Que si même l'objectif d'épater culinairement ta petite-fille ne te suffisait plus, ça voulait dire qu'il était temps.

5 mois après, tu nous as dit 'Au revoir les enfants'.
5 ans après, je souris bêtement à défaut d'autre chose, avec à la main une cuillère en bois tournoyant dans la casserole de lait.



* http://www.ifop.com/
** pour que le riz n'attache pas, est-il besoin de le mentionner?

mardi 6 avril 2010

Get yourself a car.
















Every seed that I do sow, harvest time and nothing's grown
Coffee's cold and I've been sold for half a dollar bill.
Abigail Washburn - Coffee's cold




Ça fait longtemps, mais bon.

Depuis quelques mois, je me sens suisse. Je n'ai d'avis sur rien ni personne, juste envie que "ça" passe et qu'on m'oublie, bien tranquillement, qu'on me range dans un coin et qu'on ne fasse même pas exprès de ne plus se souvenir où on m'avait posée. Mais qu'on m'oublie vraiment.
Et puis qu'on arrête de me parler. Qu'on arrête d'essayer de m'adresser la parole une fois sur le bitume, alors que mes écouteurs blancs tranchent bien avec ma kératine noire (peut-être même que c'est fait exprès, on ne saura jamais) : les écouteurs, c'est un peu le panneau "do not disturb" de l'être humain. Il faut croire que ça fonctionne moins bien, nettement moins bien.

Le problème, c'est de définir le "ça" qui doit passer. Est-ce que c'est un mot-valise, où on met tout ce dont on a envie, comme dans l'un de ces affreux sacs Chanel Cocoon*, où est-ce qu'on compartimente, un peu comme dans ces boîtes à trucs qui me fascinaient quand j'étais gosse. Question sans fin ni fond, vu que je ne vais rien en faire. Non pas que ça soit vain, mais ce n'est juste pas le moment. Tout glisse, tout finit par s'en aller, et la boule est revenue se nicher au creux de mon putain de sternum. Mais en plus fluide, en plus malléable. Donc ça va?

Surtout ne pas sortir, surtout ne pas boire, ne pas rencontrer de gens, ne pas y croire. Mais que les choses soient claires, je ne me sens pas mal. Je me sens juste rien. Sans déprimer, sans pleurer, sans penser. Juste du vide. Plein de vide, qui emplit mes pensées jusqu'à mes paupières. C'est limite confortable, comme un énorme édredon dont on n'a même pas envie de connaître la taille, tout simplement parce qu'on s'en fout : on est bien, là, tout de suite et c'est ce qui compte. Le reste n'est que...

Je crois que j'ai juste envie de partir, comme dans un bon vieux cliché. Pour me noyer dans une nouvelle culture, dans de nouveaux gens que je n'ai pas encore croisés dans la rue sans les connaître. Apprendre de nouveaux gestes, de nouvelles routines lassantes mais marrantes. Avoir une nouvelle carte d'identité pour faire semblant d'avoir vraiment changé. Faire comme si de rien n'était et arrêter de bouger les jambes dans tous les sens. Parce que le faire en restant assise, ça ne sert à rien, un peu comme maintenant.
Bordel, être loin, pouvoir faire croire aux gens que je suis lisse comme un galet standard, poli par le roulis des vagues mêlées au pétrole de l'Erika, plutôt qu'un galet-concept, érodé par des années de conneries et de non-dits. J'ai simplement faim de rien, même plus envie de me poser des questions interminables, parce que je crois avoir trouvé la réponse. Et qu'elle n'est pas plus rigolote que ça. Mais ça ne compte pas.

En attendant, je vais fermer les yeux, parce qu'il le faut bien.



* et ben ouais, en plus d'avoir un côté geek, un Maïté, un pseudo-punko-nihiliste et un bouffeurdelivrepouroublierquerien, j'ai aussi un côté fashion-pouffe, n'en déplaise à personne.