jeudi 19 novembre 2009

These walls are paper-thin.



Est-ce que c'est novembre, ou bien?



Admettons-le, entre nous ça avait plutôt bien commencé.

Je ne me lassais pas de t'observer quand tu cuisinais... Tu me laissais peser tout ce qu'il était possible de porter à 4 ans et tu m'avais appris à guetter ce moment où le beurre prend une teinte de noisette, dans le petit poêlon en cuivre. On a dû faire des centaines de gâteaux et des montagnes de crêpes...tu avais une astuce ou un conseil pour chaque recette. Le jour où je t'ai vu, des heures durant, sécher des rondelles de pommes de terre quasi transparentes pour en faire des chips, j'ai compris ce qu'était la patience et l'amour de la cuisine. Petit à petit, ton enthousiasme m'a gagnée, on passait des heures ensemble à la lueur de ce néon sinistre, à pétrir, faire dorer ou surveiller la cuisson de ce qu'on mijotait, sans vraiment discuter mais sans se taire non plus. Dans ces moments-là, tu répondais gentiment à mes questions, absorbé que tu étais dans ce que tu appelais alors ta passion.

Mais une fois hors de la cuisine, les choses se gâtaient. Je redevenais la petite chose débarquée après les deux autres. Trop grosse, trop lourde, trop empotée. Pourquoi s'intéresser à ce que je faisais, vu que les autres l'avaient déjà fait des années avant moi? Et mieux, tout le monde était bien d'accord là-dessus.
Tu nous comparais sans cesse, j'en ressortais blessée et diminuée. Ça ne s'est d'ailleurs pas amélioré en grandissant.
Tu n'avais plus la patience d'expliquer pour la troisième fois les mêmes théorèmes, les mêmes formules géométriques. Tu n'avais plus la force de faire semblant de t'émerveiller devant un enfant qui lit correctement pour la première fois. Je te dois probablement une certaine volonté de me démerder seule, et à le vouloir très fort, même si c'est voué à l'échec. Par peur de déranger, probablement.

En fait, je ne connais de toi que des listes d'ingrédients et des noms de plats. On n'a jamais parlé de quoique ce soit d'autre, de quoique ce soit de réel, et mon dieu si tu savais ce que j'en avais besoin... Tes mots étaient durs, à l'égard de tous. Les années nous ont fait comprendre que la douleur et la maladie y étaient pour beaucoup, mais tu ne pouvais pas te cacher uniquement derrière ces affreux remparts. Il devait y avoir autre chose, mais quoi?
Les kilomètres et les visites se sont espacés, ça valait mieux... même si les reproches et les piques n'ont pour autant rien perdu en vigueur et acidité.


Et puis un jour, tu as trouvé que tu étais trop fatigué.

Ce jour-là, je m'y étais faussement préparée, croyant que les comptes avaient déjà été bouclés. Mais en me retournant j'ai essuyé une déferlante glaciale de points d'interrogations. Ils se sont incrustés dans ma peau, pour lentement m'écorcher. Aujourd'hui encore, les lapsus sont fréquents et la confusion entre "est" et "était" me prend quelques fois par surprise.

J'ai mis des années à comprendre, à admettre où tu voulais en venir et à ne plus suffoquer dès qu'on parlait de toi.

Mais aujourd'hui, ça va mieux.

Ça va d'ailleurs tellement mieux qu'hier j'ai rêvé de toi. En me réveillant, mes yeux ont innocemment erré quelques secondes dans la pièce, encore confiants de ce qu'ils venaient d'apercevoir. Puis mon regard s'est figé.
Alors j'ai serré les paupières et les lèvres de toutes mes forces, en écoutant mon sternum hurler...