samedi 14 juin 2008

The monkey on your back is the latest trend.























Call me up before you're dead

We can make some plans instead
.





" Si les souvenirs étaient biodégradables, et tablons sur 5 ans de processus histoire de donner des chiffres au peuple, le sol serait couvert d'un amas gluant à l'odeur tenace.
Rose. Noir. Mais gluant. Mais rose.
Enfin, ça dépendrait de la composition chromatique du souvenir. Donc en gros ça donnerait du gris.

Il en était là de sa réflexion.
Il était "là", d'ailleurs.

Complètement glauque, inutile, flou, courbé.

La tête dans une main, l'autre caressant rageusement le colt lové dans sa poche. En toute décontraction.

Les rames de métro se succédaient depuis plusieurs heures devant son visage buriné par le sort et ses sales coups, les yeux enfoncés, tenus à l'écart de sa vie par le rideau de ses paupière trop lourdes. Comme si un voile de peau allait l'empêcher de se mettre bien en face de ses conneries, y compris de celles qu'il aurait tant voulu faire...

Les rames se succédaient, donc. La raison pour laquelle ce ballet ne prenait pas fin donnait envie de lever les yeux au ciel en soupirant : il n'arrivait pas à décider quelle rame serait la bonne. Bien que "bonne" ne soit pas la terminologie exacte, mais avec un tant soit peu de vodka, un mot en vaut bien un autre, convenez-en.

Les rames se succédaient depuis bientôt 6 ans, pour être tout à fait honnête.

Il était là.
A se concentrer sur sa vie, plutôt que sur sa cible. Et il revenait "là" chaque jour, au point de faux départ.

A considérer, supputer, contrebalancer, comparer.

C'est qu'il avait du mal à sauter le pas. Du mal à choisir quelle personne, quel cadavre allait faire basculer sa vie bien pépère vers les abîmes de la cavale, de la course-poursuite très terminable vu qu'il était un peu con. Il avait toujours voulu faire quelque chose de plus que les autres. Pour en finir en beauté.

Quelque chose d'extraordinaire, fou, cinglant, imposant.

Un coup d'éclat qui le ferait voir autrement par son entourage, qui lui accorderait peut-être même un entre-filet post-mortem des plus délicieux dans la gazette locale. Qui sait. "Qui" en sait vraiment long sur la question.

Mais lui pas.

Ainsi, les minutes s'égrenaient, dégoulinant et oxydant les heures qui s'entrechoquaient en chuintant.

En le tiraillant, questionnant, humiliant, pressant.

Tout ça pour en arriver à ne tuer personne. F...on va l'appeler "F." pour commencer, allait encore lui coller une baigne pour cause de fainéantise aggravée, mais il s'en foutait. Ici, il avait toujours l'impression d'être quelqu'un. D'être un vrai tueur à gages, statuant sur le sort de sa prochaine victime. Il imaginait des sévices, des tortures sans nom. Sans images non plus, heureusement. Juste pour la frime intérieure.

F., c'était sa femme.

Juste chiante, aigrie, morne, autoritaire.

Et potentiellement morte.
Sa voix perçante le hantait depuis ce foutu jeter de terre sur son cercueil, il y a bientôt ... 6 ans de cela. Elle avait toujours aimé donné des ordres, il n'y avait pas de raison que tout s'arrête du jour au lendemain juste à cause d'une bête cessation d'activité biologique.
C'est elle qui lui donnait le "là" à chaque fois. "Là" était pas mal de choses.

A la fois géographique, philosophique, mental, physique.

Cette mort lui avait donné pas mal d'idées, à F.. Elle avait désormais un nouvel objectif : le pousser à bout. L'obliger à mourir, probablement pour avoir une plus grande emprise sur lui, pour l'avoir à ses côtés. A jamais. Il disait "probablement" quand il en parlait à son psy, parce qu'il ne savait pas très bien. La communication n'avait jamais été son fort et une fois morte, elle n'avait pas franchement progressé.
Pour lui, la mort n'avait pas vraiment d'importance. Il voulait juste clôturer sa vie par un feu d'artifices.
Tant qu'il hésiterait, elle hurlerait.

Elle l'invectiverait, torturerait, menacerait, détruirait.

Mais ça ne comptait pas pour lui. Rien ne comptait pour l'instant, hormis l'acier mêlé aux couleurs criardes du carrelage et les pubs qui s'enchaînaient à toute vitesse, l'ensemble défilant sans complexe sur un fond musical plus qu'improbable.

Il en avait envie, il était de très bonne volonté, même. Après tout, c'était presque un tueur, qu'on se le dise.

Le supporter de foot avec le bichon sous le bras?
Ce serait rendre service à l'humanité et il n'était pas du genre bénévole et merci bien.

La vieille en train de pester sur les jeunes habillés d'un fluo douloureux pour ses yeux fatigués par la cataracte?
Ce serait trop évident et d'une envergure lui valant une place dans News of the World plutôt que dans le Times.


Il lui fallait LA proie. Quelqu'un d'aimé, histoire qu'il devienne quelqu'un de regretté.

Alors, elle a débarqué. Comme si c'était prévu.

Ca aurait pu être préenregistré, monté, pré-mâché, offert.

En plein milieu du quai, il n'a pas bien vu comment. On aurait dit qu'elle était faite pour ça. La nuque dégagée du col de son grand imper, la démarche assurée et claquante du haut de ses talons en bois. Elle posait sur le monde ce genre de regard, vous savez, celui qui mérite des baffes. Dès qu'elle posait ses pupilles cerclées d'un vert mordoré sur quelqu'un, on avait l'impression de lui appartenir et bien pire, de tout lui devoir. Ce genre de filles à qui on ne peut pas dire non, à qui on peut juste tout offrir pour entrer dans ses bonnes grâces, pour se sentir s'élever, pour ensuite se rengorger en public. Il l'a alors approchée. Il a vu la courbe de son cou, offerte au canon de son colt encore vierge de tout meurtre.
Il a vu une autre courbe, celle de la balle s'enfonçant dans son épiderme, faisant voleter les cartilages, meurtrissant les chairs, pour finir par se loger en plein dans la moelle osseuse, comme il en avait toujours rêvé.

Du moins, c'est ce que j'ai cru lire dans ses yeux, alors que je l'observais depuis plusieurs heures, tapi derrière un distributeur de KitKat.
Du moins, c'est ce que j'ai cru lire dans sa vie.

C'est ce que j'avais envie d'imaginer, une histoire sur pattes, avec une colonne vertébrale et des muscles pour se mouvoir.
Seulement, ses paupières tombantes trahissaient sa faiblesse, me garantissant ainsi une fin plus que non-désirée : le happy end. Le prototype même de la fin qu'on aime détester, celle que l'on croit faire partie de la vie des autres et jamais de la nôtre. Il avait l'air tellement con, il aurait été capable de bégayer une déclaration d'amour débile, elle aurait eu pitié, aurait marché en plein dedans et ça n'aurait été qu'en empirant.
Elle lui aurait redonné goût à la vie, lui faisant oublier sa femme et sa carrière insignifiante, lui donnant l'amplitude et l'altitude qui lui avaient toujours fait défaut et toutes ces conneries.
Il serait devenu un autre.

Quelqu'un de reconnu, apprécié, redouté, respecté.

Juste quelqu'un.

Sa vie, c'était mon idée.
Mon mi-roman, mi-polar dont aucun éditeur n'avait voulu. Hors de question qu'il saborde ma propriété intellectuelle. Il n'avait pas le droit de la vivre.

Plutôt crever.
Plutôt les crever, pour être exact.

C'est pourquoi, MOI j'ai eu le cran de prendre mon colt. Pour un descriptif plus complet, voir plus haut et multiplier par deux.
Plus de détails, ça nous ferait tomber dans le mauvais goût, non? "